Petite visite au centre

Si GaJin avait écouté Keiitaro, elle aurait pris la poudre d'escampette aussi vite qu'elle l'aurait pût; mais cela n'aurait pas été drôle n'est-ce pas? Et puis elle voulait aider Antoinette et prouver qu'elle était digne de confiance, ne cessant de se répéter "tu peux le faire, tu peux le faire".
Antoinette et Keiitaro, eux, étaient déjà rentré que GaJin traînait encore sur le pas de la porte; essorant ses cheveux trempés pour ne pas en mettre partout...du moins c'était l'excuse qu'elle s'était trouvée.
Quand pour finir, elle prit son courage à deux mains et se décida à entrer, que pouvait-il y avoir de si terrible après tout, plein de gens le fréquentaient quotidiennement, ils n'en n'étaient pas morts pour la cause, elle y survivrait aussi, et pourtant, son appréhension ne la quittait pas.

Ses premiers pas à l'intérieur du centre, furent relativement normaux, pas de lamentations, pas de choses bizarres, les gens allaient et venaient dans le hall d'entrée, pourtant, l'atmosphère lui semblait lourde. Légèrement rassurée, GaJin suivit ses compatriotes, puis elle attendit les consignes d'Antoinette.

En attendant, elle remarqua la présence d'une femme à l'autre bout de la pièce, presque entièrement couverte de bandages excepté son visage, qui la fixait. Pas de quoi s'affoler, le centre servait d'infirmerie, et ce genre de scène n'était pas anormal, pourtant GaJin n'était pas rassurée, elle ne rappelait pas connaître cette femme et elle connaissait presque tous les villageois d'Hollowish. Elle détourna le regard un instant puis regarda de nouveau à la même place; la femme avait disparu.
GaJin secoua la tête, peut-être que ce n'était que son imagination qui associait la réalité à ses propres rêves, et comme elle n'était déjà pas rassurée de pénétrer dans le centre, ça lui travaillait.

Elle décida d'oublier cette vision et de reporter son attention sur les instructions qu'elle attendait d'Antoinette.

Après avoir soigneusement essuyé ses chaussures sur le paillasson, Antoinette était entrée suivit par ses deux compères, elle regarda brièvement la salle animée puis se tourna vers Keiitaro qui semblait attendre ses instructions et GaJin qui semblait dans un autre monde, comme à son habitude.

* Au moins tu auras de quoi les occuper. *

- Bien, GaJin si tu veux bien on va monter préparer le repas d'accord? dit-elle en montrant le panier. Keiitaro, tu vas monter dans les chambres voir si tout va bien, une fois que c'est fait, tu vas mettre à jour tous les dossiers des patients. Il y a un dossier dans chaque chambre, si c'est un nouvel arrivant tâche de parler avec lui, demande lui sa nationalité, essaye de lui soutirer des informations.

Elle n'inventait rien au fond, d'habitude elle s'occupait seule de ces tâches et voir son travail réduit et partagé ne lui déplaisait pas. Elle avait toujours quelque chose à faire de toute façon au Centre, mais jamais elle n'avait protesté contre cela, elle avait des aides, quelques auxiliaires pour les enfants, certaines femmes du village qui venaient aider en cuisine et ce depuis toujours. Depuis ses débuts, jamais elle n'avait vu ni Keiitaro , ni GaJin proposer leur aide.

Keiitaro, elle savait qu'il n'aimait en tout et pour tout que ses livres, cela ne l'intéressait pas vraiment de venir en aide aux autres ou d'accomplir des tâches même si il passait de temps à autre au Centre voir ce qui s'y passait, étudier les archives. GaJin ne venait jamais au Centre, en dix années Antoinette avait dû l'y voir peut être une fois quand elle était arrivée et qu'elle se rétablissait mais au grand jamais GaJin n'était au Centre. Bien sûr, Antoinette se posait des questions et bien qu'elle discutât souvent avec elle, jamais elle n'eût l'idée de lui poser la moindre question à ce sujet.

* D'ailleurs je n'y manquerai pas de lui demander. C'est plutôt bizarre comme comportement. *

Mais c'était GaJin, et Antoinette le savait.

- Tu viens GaJin? lui dit-elle avec un grand sourire. Nous devrions nous changer, j'ai des robes là-haut elles devraient t'aller.

Parler aux patients? Est-ce qu'elle le prenait pour un larbin? Lui aussi il avait du travail!

* ...mais en même temps rencontrer les nouveaux n'est pas une mauvaise chose. C'est pas comme si ils étaient beaucoup de toute façon. *

- Okay, lança Keiitaro à Antoinette, mais d'abord je vais au Complexe Scolaire pour leur donner les livres.

Il ne lui laissa pas l'opportunité de répondre et fila tout droit vers l'annexe.
Placé dans un petit bâtiment relié à l'hôpital par une passerelle en verre, le Complexe Scolaire comptait trois classes, et chacune correspondait à un cycle d'étude : primaire, collège et lycée. Vu qu'il n'y avait pas beaucoup d'élèves, ce n'était pas vraiment une tâche ardue, le plus difficile étant d'arriver à gérer plusieurs cycles en même temps; la plus embêtée était d'ailleurs la maitresse de la classe de primaire, qui devait s'occuper autant de gamins niveau CP que d'enfants sur le point de passer en 6ième.
Et si vous vous posez le question, et bien oui, il s'agit du système francophone, car à l'époque de la création de l'ensemble scolaire le seul professeur était français. Keiitaro trouvait ça profondément crétin, mais il ne faisait pas encore partie du Conseil à ce moment là, et son avis n'avait pas été demandé, et de toute façon...

Il s'arrêta net au milieu de la passerelle.
Il avait entendu... Mais était-ce possible?
Soupirant, il se retourna vers l'autre côté du bloc de verre, et vit un enfant qui semblait se cacher derrière la porte, dans la pénombre, ne laissant apparaitre que sa main et une partie de son visage.
Keiitaro ne savait que trop bien de qui il s'agissait.

- Tu n'as rien à faire ici, tu le sais. Rentre chez toi.

L'enfant ne bougea pas, et le bibliothécaire soupira encore.

- Tu m'entends? Tu ne devrais pas être là en plein jour. Si les autres te voient, ils viendront te chasser pendant la nuit, alors file. J'ai pas de temps à perdre avec toi de toute façon.

Dehors, un éclair traversa le ciel, attirant l'attention de Keiitaro pendant un quart de seconde. Mais ce laps de temps avait suffit à l'enfant pour disparaitre.

* Allons bon, heureusement que j'étais seul, il aurait pu effrayer quelqu'un... *

Il reprit alors sa route, passant sa main dans ses cheveux d'une manière agacée.
Tout ça ne finirait donc jamais.

Préparer le repas, voilà qui serait certainement très intéressant, vu qu'elle n'avait jamais cuisiné de sa vie. Bon elle savait préparer des breuvages, des remèdes, du parfum et des choses de ce genre, donc elle avait quelques notions, mais était-ce vraiment la même chose? Probablement, ça ne devait pas être trop difficile, elle pourrait le faire.
Mais avait-elle bien entendu? Antoinette avait parlé de robes?! C'était quoi cet endroit, l'anti-chambre des enfers? Ce n'était pas comme si GaJin n'en avait jamais porté, mais pas depuis l'âge de cinq ans au moins. Et elle savait que c'était le truc d'Antoinette, elle semblait aimer les fanfreluches et ce genre de choses qui vous font ressembler à la parfaite femme d'intérieur, et ça lui allait, mais GaJin, il fallait être sérieux, elle devait avoir l'air d'un véritable camionneur à côté de la jeune femme, alors lui faire enfiler une robe...
Mais elle ne voulait pas être une nuisance, aussi se tut-elle une fois de plus.

Keiitaro partit s'occuper de ses affaires et GaJin suivit Antoinette à l'étage, et enfila l'une des robes que la jeune femme lui proposait, se demandant toujours pourquoi elle devait porter une telle chose, trouvant que contrairement à Antoinette à qui cela allait très bien, à elle, ça lui allait comme un sac; elle haussa les épaules, se disant que ça serait sûrement la dernière fois qu'elle porterait une robe de sa vie.

Antoinette avait parlé de bouillon, aussi, voulant être efficace, GaJin n'attendit pas les instructions de sa collègue du moment et entreprit de couper des légumes. Mais sa peur ne le quittait toujours pas, elle n'arrivait pas à se relaxer ici et encore moins à se focaliser sur ce qu'elle faisait, son esprit vagabondant entre diverses théories.
Dans sa hâte de finir au plus vite pour pouvoir déguerpir, le couteau glissa et GaJin se coupa, tâchant de sang la robe qu'Antoinette lui avait prêté au passage. Décidément, elle ne faisait rien de bon ici.
La blessure n'était pas profonde, mais le sang continuait de gicler.
Ne souhaitant pas être une gêne pour Antoinette, elle devait s'en sortir seule et sortit ne pas repeindre la cuisine en rouge sang, aussi s'empara-t-elle d'un essuie pour éviter d'un mettre partout et d'un peu de sel, et dit :

- Je reviens.

A Antoinette puis prit la direction des salles d'eau.
Une fois à l'intérieur, elle laissa l'évier se remplir d'eau ou elle mit une partie du sel qu'elle avait prit pour y faire tremper l'essuie afin de pouvoir faire partir les taches de sang, puis passa sa main sous le jet du robinet.
Manifestement, la pièce était vide, GaJin prit le temps de s'observer dans le miroir; son maquillage ayant légèrement coulé sous la pluie, ses cernes ressortaient, tout qui la voyait aurait pût dire qu'elle n'avait pratiquement pas dormit depuis des jours.
Elle s'occupa à nouveau sa blessure, l'hémorragie s'était enfin arrêtée. GaJin poussa un soupir, elle devait vraiment avoir un problème. Quand quelque chose attira son attention, un bruissement, elle se retourna mais ne vit personne, puis quand elle regarda à nouveau dans le miroir, quelqu'un l'y regardait en souriant, un sourire peu amicale. GaJin sursauta et ne pût réprimer un cri. Elle se retourna à nouveau, mais toujours personne, pas de bruit de porte non plus. Elle se dépêcha de jeter ce qu'il lui restait de sel par dessus son épaule; pourtant, elle était sûre d'avoir vu quelqu'un.

Avec GaJin, laissant partie de son côté Keiitaro, elle alla se changer à l'étage où une espèce d'appatements lui appartenaient. Aménagés comme une auberge antique, la cuisine était spacieuse aussi se mettèrent les deux femmes au travail après s'être changée. Antoinette devinait sans mal que GaJin n'était pas l'aise en robe mais elle n'avait rien d'autre à lui proposer. Précautionneusement, elles sortirent les légumes du panier et se mirent à les éplucher puis à les couper dans un silence pesant.
Antoinette ne chercha pas à le rompre, elle ne le remarquait d'ailleurs à peine, elle était davantage plongée dans ses pensées.

* Il suffit d'ignorer la douleur, de trouver quelque chose pour l'oublier. C'est si simple en apparence et quand il s'agie de l'appliquer, ce n'est plus si évident. J'ai l'impression que c'est comme une maladie. Je n'arrive pas à m'en défaire. Et pourquoi serait-ce si compliqué, parfois, je souhaite n'avoir jamais survécu. Vivre est si dur, la mort si faci...*

Elle tourna la tête. GaJin n'était plus là. Si elle avait fait attention, cela lui aurait permis de ne pas s'inquiéter inutilement car cette dernière l'avait prévenue qu'elle "reviendrait". Elle entendit l'eau du robinet. Antoinette s'essuya ses mains mouillées sur un torchon puis se dirigea vers les salles d'eau.

GaJin se regardait dans la glace, un liquide rouge sur les mains et sur la robe.
Un éclair sabra le ciel.

- GaJin? demanda Antoinette avec une pointe d'inquiétude dans la voix.

Cette fois, GaJin avait entendu la porte, et ne fût pas surprise de voir Antoinette. Allons bon, voilà qu'il y avait de l'orage maintenant, cela tombait à point, ah oui vraiment. Quand Antoinette l'appela, GaJin lui fit face, la jeune femme avait l'air inquiète; s'était-elle au moins rendue compte de son absence? Vu la tête qu'elle faisait, elle aurait juré que non. La situation était comique et prêtait légèrement à confusion; GaJin, seule dans la salle d'eau, la robe couverte de sang, et cet orage qui n'arrangeait rien, on se croyait plongé dans un vrai film d'horreur.

- Je me suis coupée, expliqua-t-elle en montrant sa main toujours un peu ensanglantée.

- J'ai taché ta robe et ton essuie alors je voulais réparer les dégâts, c'est pour ça que je suis venue ici, je t'ai prévenue mais tu n'as pas dû y faire attention, continua-t-elle essayant d'atténuer les tremblements de sa voix du mieux qu'elle pouvait.

Elle se mit à frotter les taches avec le sel et un peu de savon, ce qu'elle n'avait pas encore eût le temps de faire jusque là. Pour la robe, elle verrait plus tard, elle se voyait mal la retirer et essayer de faire partir les taches en sous vêtements alors que des gens bizarres l'observaient, mais elle se promit de la rendre comme neuve à Antoinette.

En parlant d'Antoinette, elle ne voulait pas que celle-ci perde son temps, aussi lui dit-elle :

- Je n'en ai pas pour longtemps.

De cette façon, Antoinette pouvait retourner à ses occupations premières car si elle se référait à la préparation de ses potions et autres cataplasmes, le temps était un facteur important, ça devait être la même chose pour la cuisine.

Une fois que la jeune femme fût partie, GaJin se mit à passer la pièce au peigne fin, si quelqu'un se cachait, elle le trouverait. Cela dit, il n'y avait personne, et elle commençait à se demander si tout cela n'était pas seulement dans sa tête, si c'était le cas, elle se jura qu'elle n'en dirait jamais un traître mot à qui que ce soit.
Il fallait se rendre à l'évidence, elle était bel et bien seule dans cette pièce. GaJin essora l'essuie et voulut rejoindre Antoinette, mais une grande surprise l'attendit quand elle ouvrit la porte de la salle d'eau.
Tout était différent; le décor était toujours le même, elle pouvait dire qu'elle se trouvait toujours au centre, mais c'était différent; l'atmosphère était encore plus lourde qu'avant, et il faisait encore plus sombre, comme en pleine nuit.
Le couloir, n'était pas bondé déjà auparavant, mais là, il était carrément désert et il n'y avait pas un seul bruit, de nulle part, ni de dehors, ni de l'extérieur, à l'exception du tonnerre qui grondait.
GaJin avança précautionneusement vers la cuisine, mais ce rendit bien vite compte qu'il n'y avait plus de cuisine. Qu'est ce que c'était que ce délire? Comment une cuisine pouvait-elle disparaître comme ça? Cela commençait à taper sur les nerfs de la jeune fille, si c'était une blague, ce n'était vraiment pas drôle ! Mais peut-être qu'elle s'était trompée de chemin en fait, elle avait tellement peu l'habitude de fréquenter cet endroit que cela ne serait pas très étonnant. Elle fit revint sur ses pas. Tout à coup, une silhouette lui coupa le passage, elle fût tellement rapide, que GaJin ne pouvait être sûre de ce que c'était.
Pas très rassurée, la jeune femme prit un autre chemin, mais la même chose se produisit, une autre silhouette lui barra le passage.
Plus qu'une seule solution, les escaliers, GaJin descendit, peut-être qu'elle trouverait Keiitaro en route, elle l'espérait du moins, elle ne tenait pas à rester seule dans cet endroit maudit.
Le hall d'entrée était précédemment occupé, mais lui aussi était vide désormais. A tout hasard, elle appela :

- Keiitaro? Antoinette? Hé ho, il y a quelqu'un?

Son écho pour toute réponse. Bon la plaisanterie avait assez duré comme ça, GaJin prit la direction de la sortie, mais elle aussi avait disparu.
La jeune fille commençait sérieusement à avoir peur, ce n'était définitivement pas normal. Elle tourna en rond, quand tout à coup, elle aperçut plusieurs silhouettes qui cette fois, se rapprochaient lentement d'elle, il y en avait un certain nombre et elle reconnut la femme qu'elle avait remarqué à son arrivée, et la personne du miroir, il y avait là aussi un petit garçon et encore d'autres personnes.
GaJin, tout sauf rassurée, se mit à les fuir, comme dans ses cauchemars; elle ouvrit la première porte qu'elle trouva, c'était un placard et la referma derrière elle, puis la bloqua avec ce qu'elle pût trouver, puis elle s'assit et essaya de se calmer, seulement cela se transforma en hyper-ventilation et des larmes roulèrent sur ses joues, elle était en proie à une véritable crise de panique, pourtant elle était presque sûre que ce n'était que des hallucinations, tout cela n'était pas rationnel.
Puis des coups se mirent à résonner contre la porte et GaJin crût que son coeur s'était arrêté.

Rassurée, elle sourit à GaJin pour lui montrer qu'elle ne lui en voulait pas pour la robe. Elle la laissa dans la salle d'eau et retrourna dans la cuisine.
Mais tout n'allait pas mieux pour autant. Aujourd'hui, une étrange atmosphère regnait dans tout le Centre, un sentiment d'oppression d'étrange, cette sensation particulière, Antoinette l'avait déjà ressenti dans le passé, une fois mais quand?
Elle se remit à couper les légumes. Son coeur était oppressé, l'ambiance paraissait lugubre. Elle entendit un bruit de porte claquer, et ne fut pas plus alertée que ça.

* Le vent ou un courant d'air. *

Oui, ça lui était familier. Le jour de son arrivée, quand elle était dans la section médical du Centre. La Salle de Repos. Elle posa son couteau. Elle s'était dite à ce moment là...

* Dès que je sors d'ici plus question d'y remettre les pieds*

C'était le jour où GaJin l'avait sauvée. Elle avait été si gentille avec elle , elle ne l'oubliras jamais certes. Et le sentiment brusquement disparu et elle se familiarisa avec le Centre. C'était il y a près de neuf ans. La dernière fois qu'elle avait senti ça.

* Il y a quelque chose. Quelque chose qui réagit avec le Centre *

Ce qu'elle ignorait c'est que cela s'était déjà produit quelques rares fois au cours des neufs dernières années. Elle se dirigea vers la fenêtre lorsqu'un cri déchira le silence. Celui de GaJin.
Antoinette se précipita vers la Salle d'eau. La porte était fermé à clé lorsqu'elle l'atteint. Les jambes tremblantes elle martela la porte de ses poings.

- GAJIN!? GaJin ouvres! criait Antoinette effrayée de ce qu'elle découvrirait une fois la porte ouverte.

Après avoir amené les livres à bon port, Keiitaro repartit pour le bâtiment principal, où Antoinette devrait surement l'attendre, liste en main et remontrances en tête. Faut dire qu'il avait trainé exprès.
Ricanant à cette pensée, il regarda par les fenêtres du couloirs, et vit...

* Nom d'un chien, qu'est-ce que... *

Il s'approcha de la vitre, appuyant ses paumes sur le verre, et scruta l'extérieur, fronçant les sourcils. D'habitude, depuis cet endroit, on voyait le jardin du Centre, et le toit du Temple au loin, plus quelques maisons sur le côté. Mais là, il voyait...
Il se mit à trembler.
L'horizon qu'il contemplait ne lui rappelait que trop de mauvais souvenirs. C'était comme s'il regardait via une fenêtre menant sur le passé.

- Impossible, se mit-il à marmonner, c'est totalement impossible, impossible...

Un bruit résonna à l'autre bout du couloir, et il se retourna, hagard. Se calmer, il lui fallait se calmer. Ce qu'il voyait n'était qu'une hallucination, un délire... C'était...
Il prit une grande inspiration et recommença à avancer.
Il savait ce que c'était. Mais il savait aussi que ça ne devait pas se manifester le jour. Quelque chose clochait, et comme de par hasard, cela coïncidait avec...

* On aurait pas du l'emmener ici, j'aurais du y penser; elle doit les attirer sans s'en rendre compte... *

Soudain inquiet, Keiitaro commença à courir, prenant la direction de l'endroit où devaient se trouver Antoinette et GaJin.
Si elles y étaient toujours. Il priait pour qu'elles y soient toujours.

Perdue au fond de son placard, GaJin se sentait plus ou moins protégée; ayant réussi à en bloquer la porte avec elle ne savait trop quoi vu l'obscurité des lieux. Mais ces martellements incessants la rendait folle, il fallait qu'elle sorte de là et trouve le moyen de rejoindre Antoinette ou tout du moins, quelqu'un qui aurait une meilleure aura, car même si elle ne savait pas ce qu'étaient exactement ces personnes, elles les savaient hostiles.
Mais pourquoi avait-il fallut qu'elle pénètre dans cet endroit maudit? Elle le savait que c'était une très mauvaise idée, et pourtant, elle les avait suivit. La jeune fille se jura que si elle arrivait à sortir d'ici, plus jamais elle n'y remettrait les pieds, même pour tout l'or du monde.

Alors qu'elle s'était égarée dans les méandres de ses réflexions, elle n'avait pas remarqué que les bruits sourds contre la porte avaient cessés. Ces créatures s'étaient-elles détournées de leur cible pour en trouver une autre? Ou leur maître les avait-il rappelé à lui? GaJin s'imagina tout un tas de scénarios différents, mais ce n'était pas vraiment le moment, il fallait qu'elle quitte sa planque pour retrouver Antoinette ou Keiitaro, ou tout simplement pour sortir de là, si tout cela ne se passait que dans sa tête, peut -être que c'était la seule solution après tout.
Elle débloqua la porte et l'ouvrit avec le plus de précautions possibles. Personne dans le couloir, qui était toujours désespérément sombre, c'était sa chance, GaJin se releva, ses jambes tremblantes la soutenant à peine, puis refit le chemin en sens inverse, lentement, le dos collé au mur. Elle remonta les escaliers et crut à un mirage; elle venait d'apercevoir Antoinette au bout du couloir, debout devant la porte de la salle d'eau, et pourtant, cela lui semblait flou, comme un rêve, ou plutôt comme l'un de ses cauchemars.

Elle s'approcha encore plus lentement, tâchant de ne pas faire de bruit, au cas ou son imagination lui jouerait encore des tours.
Il lui semblait entendre son amie appeler son nom à travers la porte fermée de la salle d'eau. La terreur lui noua l'estomac; si Antoinette la suppliait d'ouvrir, c'est qu'il y avait une raison, or GaJin avait quitté cette pièce depuis pas mal de temps, alors qu'est ce qui pouvait bien faire croire à la jeune femme qu'elle s'y trouvait toujours?

GaJin déglutit difficilement, des larmes coulaient toujours sur ses joues, sans même qu'elle s'en aperçoive, se devait être le choc.
N'arrivant pas à sortir un seul mot, elle toucha l'épaule de la jeune femme afin de lui signaler sa présence. Si elle n'était pas pétrifiée par la peur, GaJin se serrait jetée dans ses bras, tellement elle était heureuse de la retrouver, mais hélas, ça non plus, elle ne pouvait le faire.
Dans un faible murmure, elle lui dit :

- Ne lui demande pas d'ouvrir la porte, contentons-nous de retrouver Keiitaro et de partir d'ici au plus vite.

Bien sûr, elle ne savait pas de qui elle parlait quand elle disait de ne pas lui demander d'ouvrir la porte, mais elle était certaine qu'elle ne voulait pas savoir ce qui se trouvait à l'intérieur.

Antoinette sursauta et émit un hoquet en se sentant un main sur son épaule. Elle se retourna dans un visage pétrifié d'effroi: c'était GaJin.

* GaJin....Hein? *

- GaJin? Que fais-tu? Qui..qu'est-ce... demanda Antoinette en montra la porte sans trouver les mots.

Elle la regarda sans comprendre. Ses cheveux étaient ébouriffés, ses yeux rouges, les traces de larmes qui restaient encore sur son visage, l'expression de sa peur qui demeurait dans ses traits. Jamais auparavant elle ne l'avait vue ainsi. Un cri parvint de la salle d'eau. Les deux jeunes femmes détournèrent immédiatement les yeux vers la porte. Antoinette recula de la porte. Que diable se passait-il?
La pression que subissait aujourd'hui Antoinette s'était accentuée, son coeur semblait complétement étreint. La peur n'arrangeait rien. Le souflle lent, elle essayer de regagner la raison.

* Ce n'est pas normal, ce qui se passe...ce ne sont rien que des hallucinations. C'est impossible que ce soit vrai. *

Mais une voix dans sa tête lui disait: Et l'apocalypse? Et la Forêt? Toutes ses choses il y a dix ans? Est-ce réél? Bien sûr que oui, alors tout est possible dans ce cas là.
Elle sembla reprendre ses esprits alors que GaJin , elle , avait perdu toutes ses couleurs si ce n'est celle du rouge de son sang qui coulait sur sa main.

- Nous... nous devons pas nous occuper de ce qu'il y a à l'intérieur, d'accord? Il faut... faut trouver Keiitaro... et où sont les autres? ajouta-t-elle en voyant le couloir vide.

Keiitaro avait couru jusqu'à l'espèce de cuisine aménagée d'Antoinette. Jusque là, rien de particulier. Il était d'abord passé par le rez-de-chaussée et avait examiné les chambres. Et ce qu'il avait vu ne faisait que confirmer ce qu'il pensait.

* Le Centre à l'air vide, mais il ne l'est pas. On est tous plus ou moins bloqué dans une hallucination... J'espère juste que les enfants n'y auront pas droit, sinon on va avoir des cas de schizophrénie infantile en vrac dans les prochains mois... *

Toujours est-il que même GaJin et Antoinette étaient introuvables. Dans la cuisine, il n'avait trouvé que des légumes pas fini d'être coupés, et une petite tache de sang sur un couteau. Soit l'une d'entre elle avait été maladroite, soit...
Il préféra ne pas penser à l'autre éventualité et reprit sa recherche; mais lorsqu'il passa devant la porte du placard, quelque chose frappa.
Keiitaro s'en éloigna de quelques pas, partagé entre la curiosité et la méfiance, et son pied heurta quelque chose. Il se retourna... Et resta pétrifié sur place.
Il y avait un corps au sol. Un cadavre qui commençait à putréfier. Une personne qu'il ne connaissait que trop bien.

- Aniki...
- Non... T-Tu n'es pas réel...
- Anikiii...
- Non... Non, non, NON!!

Il ferma les yeux, plaqua ses mains sur ses oreilles tentant de bloquer tout ce qui avait rapport à son environnement direct. Il devait se calmer, réfléchir, penser, rester calme... Il prit une profonde inspiration et utilisa la logique. Ce qu'il voyait n'était qu'une illusion. Juri ne pouvait être là. Juri était vivant. Il le savait. Il le sentait. Ce cadavre n'existait pas. Il fallait rester concentré sur la tâche à accomplir, c'est-à-dire retrouver les filles.
Il expira lentement, ouvrant les yeux et baissant les mains. Le corps avait disparu.

* Okay, vous voulez jouer, on va jouer. Je ne me laisserais pas avoir deux fois. *

Vérifiant d'abord que le placard était bel et bien vide, Keiitaro reprit ses recherches, se demandant, dans l'éventualité où il leur passerait à côté, s'il pourrait voir Antoinette et GaJin ou si l'illusion l'en empêcherait.

Se retenant d'éclater en sanglots, GaJin hocha la tête comme une forcenée quand Antoinette parla de ne pas penser à ce qui se trouvait à l'intérieur de la salle d'eau, c'était bien la dernière chose à laquelle elle voulait penser.
Par contre, elle ne sût que répondre quand la jeune femme lui demanda où étaient passé les autres. Elle n'en avait aucune idée, et elle ne pouvait répondre "oh je ne sais pas, ils ont disparu, comme la sortie et ont été remplacés par des créatures lugubres", Antoinette semblait garder son sang-froid, ce qui n'était certainement pas le cas de GaJin, qui voyait là ses cauchemars se matérialiser sous ses yeux alors qu'elle était éveillée, car elle était désormais persuadée que ce n'était pas que son imagination; il ne pouvait en être autrement, Antoinette entendait ces cris elle aussi.

GaJin attrapa la main de la jeune femme, seule preuve qu'elle ne rêvait pas au fond, et l'entraîna dans le couloir car elle était persuadée que mettre le plus de distance possible entre elles et cette pièce était la meilleure des solutions.
Ne cessant de se répéter "il faut qu'on sorte, il faut qu'on sorte", GaJin prenait de la vitesse; elle aurait eût beau essayer de se calmer, cela n'aurait pas fonctionner, c'était plus une peur primitive qu'autre chose, son instinct de survie lui disait de partir le plus rapidement, et elle désirait ardemment l'écouter.
Oui mais, et Keiitaro? Il fallait qu'elles le retrouvent, pas que GaJin s'en souciait vraiment à l'instant même, elle le soupçonnait d'être assez fort pour affronter ça, mais elle serait plus rassurée en sa présence, car même si elles n'affrontaient pas une bande de gros durs, elles n'étaient que deux femmes, et GaJin se savait faible, aussi en était-il de même pour sa résistance, qu'elle soit mentale ou physique.

De temps à autre, des ombres furtives leur bloquaient le passage, mais GaJin était heureuse que ce ne soit plus des êtres à l'apparence réelle, elle n'avait pas peur des ombres, ou moins, en tout cas. Elle courait dans les couloirs sans savoir où elle devait aller exactement, Antoinette à sa suite, se séparer serait la pire des choses.
Peut-être qu'avec un peu de chance, elle retrouverait Keiitaro comme ça avait été le cas pour Antoinette.

Puis elle le vit, mais comme pour Antoinette, sa vision était floue, comme irréelle, elle se retourné un moment pour demander confirmation à la jeune femme, et ne s'aperçut pas que des silhouettes commençaient à les encercler. Ce ne fût qu'une fois prises au piège que GaJin réagit, si ces personnes étaient, comme elle le pensait des fantômes, elle pourrait les traverser...
Réflexion idiote, si cela avait été aussi facile, elle serait déjà loin d'ici. Ayant pris son courage à deux mains, GaJin sous l'impulsion d'une crise de rage s'était lancée droit sur eux et s'était écrasée littéralement contre un mur , car une fois de plus, toute cette mascarade n'était qu'une illusion, pas de fantômes, pas de Keiitaro. Toujours est-il que la jeune fille était encore plus mal en point maintenant, et décida de laisser Antoinette mener l'expédition désormais, claudiquant derrière elle.

Antoinette saisit par les épaules GaJin qu'elle voyait mal en point. Que pouvait-il bien lui arriver? Elle lui attrapa la main pour la rassurer.

- Tout va bien, nous allons retrouver Keiitaro, tout va bien, dit-elle en essayant de se convaincre également. Il faut que l'on trouve Keiitaro, ça ne doit pas être bien compliqué. On ne doit se séparer en aucun cas.

Elle la regardait dans les yeux et voyait sincèrement à quel point la jeune femme était effrayé.

* Elle ne doit pas voir la même chose que moi, elle doit voir AUTRE CHOSE. *

Cet " AUTRE CHOSE" l'angoissait rien que d'en parler. Elle voulait garder son calme, elle respira un bon coup.
Elle réfléchit en premier lieu. Que fallait-il faire?

* Tout d'abord, on ne peut pas rester ici. Il faut retrouver Keiitaro, et les autres...?*

Elle ne préférait ne pas y penser pour l'instant. Chaque chose en son temps. D'abord, bouger. Elle commença à avancer à travers les couloirs du Centre en entraînant GaJin avec elle.

- Allez, on va s'en sortir. Je ne sais pas ce que tu vois mais je ne vois rien, moi, alors tu n'as rien à craindre.

A cet instant, Antoinette s'arrêta net.
Elle ne croyait pas ce qu'elle voyait. Elle prit une grande inspiration, et ferma les yeux. Elle les rouvrit. CE n'était plus là. Elle avança sans même chercher à repenser à ce qu'elle avait vu.

Elle avançait avec GaJin qui semblait inerte tant elle laissait ses jambes se mouvoir indépendemment de son bon vouloir. Antoinette marchait de plus en plus vite, des cris retentirent, l'un d'eux lui sembla familier, elle tourna la tête tout en continuant à arpenter les couloirs.
Quand elle percuta un corps.
Elle eut un hoquet et voulu reculer immédiatement sous la peur. C'était Keiitaro.

Courir, à croire qu'il ne faisait que ça.
Il avait fouillé dans les trois étages du bâtiment principal, et avait tenté tant bien que mal d'accéder au bâtiment scolaire, mais comme par magie la porte et le pont de verre y menant avaient disparus. Comme si l'hôpital était le seul endroit encore debout.
Il avait donc cherché une deuxième fois, sentant la fatigue commencer à se manifester, et la même conclusion s'était imposée.
Keiitaro était foutrement seul dans le Centre.
Ou du moins c'est ce qu'on voulait lui faire croire.

* Peut-être qu'en me concentrant... *

Le bibliothécaire n'y croyait pas trop, mais il était à bout de souffle, à bout de nerfs, et surtout à bout d'idées. Il s'arrêta donc de courir, reprit sa respiration comme il le pouvait, et recommença à avancer, en marchant cette fois. Faisant attention aux ombres, à la moindre apparence, au moindre mouvement fantôme, au moindre bruit.
Tout ça ne le menait à rien, mais au moins il se sentait plus calme.

* Peut-être qu'elles ont réussies à sortir. Si j'essaie de trouver la porte principale, je pourrais peut-être... *

Perdu dans ses pensées, il n'avait pas vraiment regardé devant lui et avait percuté quelqu'un. Finalement.

- Antoinette?

Il écarquilla les yeux et vit GaJin derrière la jeune femme. Finalement, il les avait retrouvées -- ou l'avaient-elles retrouvées lui? -- et ce de la façon la plus inattendue.
Rassuré, il prit la française par les épaules et la serra brièvement contre lui, et fit pareil avec la coréenne. Même s'il ne l'aurait jamais avoué à voix haute, il était content qu'elles aillent bien.

- Allez, on va essayer de sortir d'ici. On n'aurait jamais du emmener GaJin.

Sans donner plus d'explication, il leur fit signe de le suivre, et se dirigea vers les escaliers.

Antoinette essayait tant bien que mal de rassurer GaJin, mais la jeune fille avait déjà enclenché son mécanisme de défense bien particulier, qui consistait à fermer son esprit à tout ce qui ne lui convenait pas, en l'occurrence, toute la situation ne lui convenait pas, c'était aussi ce qu'ils s'était passé lors de cet accident qui était survenu treize ans auparavant et dont elle ne se souvenait que très peu comme si elle ne s'était jamais retrouvée au centre de toute cette histoire. Dans ce cas-ci, c'était comme si elle voyait la scène d'en haut, comme si son âme avait quitté son corps; elle se voyait marcher derrière Antoinette, ou plutôt se laisser traîner derrière elle, mais ne se sentait pas concernée par ce qu'elle voyait.
Pourtant, c'était moins grave que la dernière fois que c'était arrivé, même si elle voyait d'un autre point de vue, elle se sentait toujours reliée à son corps et ce savait impliquée, ce qui n'avait pas été le cas précédemment.

Quand sans prévenir, Antoinette fonça dans quelque chose ou quelqu'un, GaJin n'en était même pas sûre. Ce n'était autre que Keiitaro, elles l'avaient finalement retrouvé, cela fit revenir la jeune fille à la réalité, peut-être que tout n'était pas perdu finalement, GaJin y voyait là un signe d'espoir.
Par contre, elle se demanda si elle ne rêvait pas encore quand Keiitaro la prit dans ses bras, c'était tellement inhabituel de sa part, encore, ça ne l'avait pas tellement surprise quand il l'avait fait avec Antoinette, peut-être parce qu'elle savait que la jeune femme avait des sentiments pour lui et que ça lui semblait plus naturel, mais elle...il avait dû être sacrément effrayé.

GaJin remarqua qu'il parlait à Antoinette comme si elle n'était pas en leur présence, cela dit, ce qui aurait pût la choquer en d'autres circonstances ne fait la fit même pas en réagir en cet instant, c'était juste une simple constatation. Mais elle était curieuse de savoir pourquoi ils n'auraient pas dû l'amener ici, devait-elle comprendre par là que ce qui se passait était de sa faute à elle? Bon c'est vrai qu'à bien y réfléchir, elle n'avait entendu personne se plaindre du centre en plein jour, alors c'était une possibilité, mais elle préféra ne pas se poser trop de questions, elle avait l'impression que moins elle en savait et mieux c'était.

Préférant ne rien dire, elle les suivit, Keiitaro prenant la direction des escaliers. GaJin hésita à lui dire qu'elle avait déjà essayé de trouver la porte d'entré mais sans succès, puis se dit que ce n'était pas la peine, peut-être que ce n'était pas son plan, et puis si ça l'était, peut-être que cette fois, ils auraient plus de chances.

Antoinette failli pleurer de soulagement en sentant Keiitaro la serrer dans ses bras tant elle était effrayée. Sa présence la rassura, son souffle était court, elle avait des difficultés pour respirer, tout semblait si peu réel...

- Keiitaro, je ne sais pas ce qu'elle a vu...elle est comme ça depuis que je l'ai trouvée, dit-elle avec difficulté son visage grave.

Elle le suivit aux escaliers. Elle était inquiète, elle voulait juste être rassurée un peu, elle voulait que quelqu'un la serre dans ses bras qu'on lui dise que tout allait bien. Elle aurait voulu qu'il soit là. Elle aurait voulu lui dire ce qu'elle avait vu. Elle regarda Keiitaro et s'arrêta et se tourna vers GaJin pour voir comment elle allait.
Inchangée, elle avait toujours cette expression d'horreur sur le visage comme si un sculpteur l'avait gravé dans ses traits. Antoinette s'approcha de son visage. Traumatisée, traumatisée comme un enfant de cinq qui aurait trouvé un monstre sous son lit. Elle ne reconnaissait pas de pathologie connue, à part l'état de choc conséquent mais qui ne le serait pas dans pareille condition.
Avec difficulté, Antoinette se rémémora ce qu'elle avait vu, elle. Et elle n'osa s'imaginer ce que GaJin avait bien pû voir pour être dans cet état, peut-être était-ce cette CHOSE dans la salle d'eau.

- GaJin, murmura-t-elle. GaJin, réponds, réponds GaJin. Elle se tourna vers Keiitaro. Elle est pas bien, vraiment pas bien. As-tu vu les autres?

Un bruit l'interrompt. Comme si la foudre avait grondé, la foudre suivi de cri de foule à l'extérieur.

- Tu as entendu? Ils sont dehors.

Ses cris la rassurèrent quelque peu, elle ne savait pas pourquoi ils criaient tous, mais ils criaient. Antoinette ne s'en rendit pas compte mais elle s'agrippait à Keiitaro déjà depuis qu'elle s'adressait à lui.

Keiitaro jeta un œil à GaJin, puis à Antoinette. La première semblait catatonique, et la seconde paniquée. Il était dans de beaux draps.

- Non, ils ne sont pas dehors. Ils sont tous ici, dans l'hôpital, et ils ont des hallucinations, tout comme nous.

Et à ce propos, il commençait à se poser des questions. Les voix à l'extérieur les exhortaient à sortir... Et cela lui faisait penser à un piège. Dommage qu'à cet instant précis il soit apparemment le seul à pouvoir penser clairement.
Il se tourna vers GaJin, et la prit par les épaules.

- GaJin, écoute-moi, écoute-moi attentivement. Tout ce que tu vois, ce n'est qu'illusion, d'accord? C'est juste quelque chose qu'on nous met devant les yeux pour nous piéger. Tu dois réfléchir et rester logique, tu dois faire abstraction de ce que tu vois et entends... Ok?

Il se tourna vers la Française et la fixa droit dans les yeux.

- Pareil pour toi. Si on montre bien à ce... cette... enfin ce truc qui nous coince qu'on est pas dupes, il se lassera surement et on pourra trouver une faille, compris?

Il soupira, ayant l'impression de parler à des murs. En même temps, si l'Ainé ne l'avait pas prévenu à l'époque, il serait surement en train de hurler, terrorisé, dans un recoin de ce foutu Centre. Il avait peut-être l'air impassible et zen, mais il était à deux doigts de faire une crise de nerfs.

- Ok, vous savez quoi, courir ne sert à rien, alors posons-nous et tentons de rester calmes.

A ces mots, il s'assit en tailleur sur le sol, indiquant aux filles de faire de même.

Dans ses moments là, Antoinette se demandait comment elle avait fait pour en arriver là. Comment alors qu'elle connaissait ce Centre, qu'elle y vivait pratiquement et qu'elle y travaillait était si peu semblable à celui qu'elle connaissait. Comment?

Assise, elle regardait avec inquiétude Keiitaro. Comment savait-il ce qui se passait? Elle n'arrivait pas à fermer les yeux, c'était trop dur pour elle, elle se sentait trop mal, trop d'images circulaient dans sa tête. Comment? Ce mot revenait sans cesse. Comment ça? Pourquoi maintenant? Ce n'était pas le moment d'y penser pour l'instant, il fallait sortir.

Soudain elle fut prise d'une angoisse comme rarement elle en avait connu. Son ventre la pris, elle sentait des sueurs froides s'en prendre à elle, et...

Les malades? Les enfants? Où étaient-ils?
Les plus fragiles supporteraient-ils ça? Où étaient-ils? Comment allaient-ils? Elles ne pourraient pas les laisser tomber. Le souffle court, la gorge serré comme si elle était sur le point de pleurer, elle se tourna vers GaJin puis vers Keiitaro.

Il fallait qu'elle aille les aider, les aider, les trouver. Certains ne s'en sortiraient pas vivant, elle en était sûre. Elle se leva. Elle savait que Keiitaro l'empêcherait d'aller où que ce soit mais il le fallait, s'il ne comprennait pas que les patients passaient avant tout, ce n'était pas son problème. Quant à GaJin, elle était bien trop sonnée pour tenter quoi que ce soit contre elle.

* Mon Dieu...*

Elle leur avait fait une promesse, et elle était décidée à la tenir.

La jeune fille avait l'impression de se retrouver dans un remake américain d'un film d'horreur asiatique, ou pourtant, c'était la réalité. Les deux autres la prenaient pour une idiote qui n'avait pas comprit que ce n'était que des illusions, le fait est qu'elle le savait très bien, comme elle savait qu'elle rêvait quand elle était sujette à ses cauchemars, mais elle ne pouvait réfréner la peur qui l'étreignait.
Pourtant, après cette petite escapade mentale, elle se sentait capable de redevenir maître d'elle-même, du moins autant qu'elle le pouvait en temps normal.

Elle ne fût pas surprise de voir Antoinette obéir aux ordres de Keiitaro en s'asseyant non loin de lui. GaJin savait que c'était la chose à faire et qu'il avait raison, mais quelque chose la poussait à faire le contraire. Cependant, elle se força à obéir elle aussi.

Jusqu'à ce qu'elle voit Antoinette se lever; elle savait ce qu'elle allait faire, elle allait essayer de sauver ses patients, même si ce n'était pas du tout le moment de penser à ça, et que la seule chose raisonnable à faire était de se tirer d'ici au plus vite, mais non, elle allait se séparer d'eux pour secourir les autres. C'était tellement altruiste et stupide que cela mit GaJin hors d'elle.
Elle se leva à son tour, et ce fût comme si tout ce qu'elle avait retenu en elle jusque là explosait d'un seul coup :

- Non ! Tu ne vois pas qu'elle veut aller secourir les autres et nous faire passer après?! Et si on se sépare encore, et qu'on arrive pas à se retrouver cette fois? Je veux sortir d'ici t'entends, j'irais pas jouer à l'infirmière et je ne resterais pas plantée ici pendant qu'elle s'amuse à faire la rebelle ! Je vous ai trouvé une fois, je ne compte pas le refaire, et si vous voulez vous disperser ou continuer à jouer à Psychose, libre à vous ! Moi je me casse maintenant ! De toutes façons, si j'en crois ce que tu dis, je suis la cause de tout ça, je ne tiens pas à savoir pourquoi, mais autant que je sorte maintenant.

Elle s'était adressé à Keiitaro presque en hurlant en pointant Antoinette d'un doigt accusateur, puis sans attendre que qui que ce soit ne l'arrête, GaJin se dirigea droit vers la pièce la plus proche et vérifia qu'il y avait bien une fenêtre et s'acharna un moment dessus, voyant qu'elle ne voulait pas s'ouvrir, la jeune fille s'empara d'une chaise qu'elle jeta sans ménagement contre la vitre qui se brisa en mille morceaux, bien décidée à sortir de là le plus vite possible.
Et sans attendre plus longtemps, elle enjamba le rebord de la fenêtre et fût tout de suite trempée parce qu'il pleuvait toujours à verse, prête à sauter le mètre qui la séparait de la terre ferme et atterrir dans la boue.

Keiitaro s'était levé lorsque Antoinette avait commencé à prendre la tangente, mais il n'avait pas eu le temps de prononcer un seul mot que GaJin s'était énervée et avait fracassé une vitre.
A peine avait-elle enjambé le muret que la pluie commença à se calmer, et soudain une porte s'était ouverte derrière eux et une infirmière était passée, saluant poliment Antoinette, comme si rien ne s'était produit.
Le bibliothécaire fronça les sourcils, puis son visage s'éclaira.

- Elle a tout fait arrêter... GaJin, t'as tout fait arrêter!

Il se tourna vers la coréenne, qui semblait figée les pieds dans la gadoue, et lui sourit, rassuré.

- On aurait penser aux fenêtres plus tôt... J'ai été idiot sur ce coup-là.

Soupirant, il inspecta les pièces environnantes, contenant archives et salles de repos pour le personnel, et vit que tout le monde avait l'air de bien aller. Surement que personne ne savait ce qui c'était produit.

* Tant mieux. Manquerait plus que ça ait terrorisé les plus jeunes, on serait bien dans la poisse. *

Sur ces pensées, il prit la direction de l'autre bâtiment, laissant les filles derrière lui et lançant au vol:

- Je vais vérifier que les gamins vont bien.

Et en même temps, vérifier que cette accalmie n'était pas une nouvelle illusion.

Antoinette entendit du verre qui se brisé, soudain elle tomba à genoux. Ses angoisses avaient soudainement disparu. Comme une bref averse qui s'achève par un ciel radieux.

Elle regarda autour d'elle, tout le monde était revenu. Tout le monde était finalement jamais partis et tout le monde allait bien , excepté elle, Keiitaro, peut être pas et à coup sûr GaJin.

Elle se releva difficilement, elle avait mal à la tête et avait chaud. C'était comme avoir un vertige léger, elle avait la bouche pâteuse, elle se souvenait de peu de choses mais arrivait à se remémorer les derniers instants où elle s'apprêtait à arpenter les couloirs afin de vérifier si chaque patient allait bien.

Pour quelle raison devait-elle faire ça? Tout allait bien. C'était un jour comme les autres et puis il y avait Keiitaro qui l'aidait aujourd'hui et qui devait faire le tour des chambres, non? Pourquoi s'était-elle mis dans un état pareille?

La fatigue s'installa avec diverses courbatures, elle voulait s'allonger, elle craignait que ses yeux l'emportent aussi se tourna-t-elle vers GaJin en quête de réponses qui expliqueraient son état et la situation.

- Ga..GaJin, tu peux me dire...commença-t-elle d'une voix faible. Ce qui...

Et elle s'évanouit.

A partir du moment où elle avait sauté dans la boue, tout s'était estompé, la pluie tombait moins fort et les illusions ou hallucinations qu'ils avaient eues s'était arrêtées comme par enchantement. Elle était donc bien la cause de tout ça? Pourquoi elle? Elle n'en savait rien, et même si elle avait envie de savoir, quelque chose lui disait de ne surtout pas chercher à comprendre et tout ce qu'elle voulait était se barrer de cet endroit maudit.
Keiitaro venait de filer vérifier que les autres villageois allaient bien et Antoinette avait l'air d'être dans le cirage.

Elle l'entendit vaguement puisqu'elle était dehors et qu'il pleuvait toujours malgré tout et qu'Antoinette était à l'intérieur, mais elle entendit qu'elle prononçait son nom entendit un bruit sourd. GaJin décontenancée, se mit sur la pointe des pieds pour voir ce qu'il s'était passé. Quand elle vit Antoinette entendue par terre, inconsciente, son premier réflexe fût d'aller la secourir, mais elle se dit que si elle rentrait de nouveau, elle était persuadée que tout ça recommencerait, et pas rien que pour elle, mais pour tout le monde, c'était tout sauf une bonne idée.

Quelles autres solutions avaient-elle? Elle jeta un nouveau coup d'oeil à l'intérieur, personne dans la pièce, pourtant elle pensait qu'une infirmière était entrée peu avant qu'elle-même ne sorte, s'était-elle absentée?
Zut pourquoi fallait-elle que ça lui arrive maintenant, c'était vraiment une journée pourrie à tous points de vue.

La jeune fille cria :

- KEIITAROOOOOO !

Si il n'était pas loin, il pouvait encore l'entendre et donc lui venir en aide. GaJin, elle, était piégée dehors, enfin piégée, en l'occurrence, car elle n'aurait pas voulut y rentrer de nouveau.
Une autre idée lui vint à l'esprit, et elle se mit à taper sur toutes les vitres qui se trouvaient à proximité à la force de ses poings, quelqu'un devait bien se trouver dans les parages et finirait par la remarquer.

Entendant son nom au loin, Keiitaro ralentit puis stoppa, manquant de peu de se prendre une aide soignante dans la tronche au passage.

* C'était GaJin, non?... Qu'est-ce qu'i'se passe encore? *

Il se retourna, tentant de voir à l'autre bout du couloir se qui pouvait bien se passer. Quelqu'un s'était apparemment mis à taper sur les vitres, ce qui commençait à l'inquiéter de nouveau.
Puis il vit.

- ANTOINETTE!

La jeune femme était allongée sur le sol, inconsciente à ce qu'il semblait.
Le bibliothécaire reprit sa course, en sens inverse cette fois, et s'agenouilla à côté de la française, passant sa main sous sa nuque, vérifiant le pouls avec l'autre main, sourcils froncés.

- Antoinette! Antoinette réveille-toi!

Il la secoua doucement, mais elle ne semblait pas prête d'ouvrir les yeux.
Keiitaro regarda vers GaJin, qui les fixait depuis dehors, l'air pas plus rassurée que lui.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé?

Il ne fallut pas longtemps pour que GaJin voit réapparaître Keiitaro qui prit le pouls d'Antoinette; histoire de vérifier si elle vivait encore? La jeune fille frissonna à cette idée. Conclusion stupide bien sûr, mais dans la panique, c'était la seule chose qui lui était venue à l'esprit.
Puis il lui demanda ce qu'il s'était passé. Qu'est ce qu'elle en savait elle? Peut-être que Antoinette n'avait pas supporté le stress de l'épisode "le centre rejoue Amityville", par manque d'habitude à ce genre de chose ou encore peut-être qu'elle était plus faible qu'eux, elle n'avait pas vraiment l'air au milieu de sa forme non plus avant qu'ils ne rentrent dans le bâtiment.

- J'en sais rien, elle me parlait je crois, puis j'ai entendu un bruit sourd et l'ai vue à terre, comme ça.

GaJin se trouvait bête de discuter comme ça par la fenêtre, ce n'était pas le genre de sujet que l'on évoquait généralement dans ces circonstances, qui étaient plutôt du genre "tiens il fait beau aujourd'hui, non?", ce qui n'aurait même pas pût s'appliquer à cette journée puisqu'il n'avait pas encore arrêté de pleuvoir, mais y pouvait-elle vraiment quelque chose? Car même si avant tout, elle était égoïste et qu'elle ne souhaitait pas rentrer à nouveau, elle savait aussi que c'était pour le bien de tous les autres à l'intérieur, du moins, c'était ce qu'elle se disait pour se déculpabiliser.
N'empêche qu'elle ne savait pas quoi faire, au final, Antoinette était encore plus fragile qu'elle-même, ce qu'elle n'aurait jamais crût possible jusque là.
Tâchant de reprendre un peu son calme, elle demanda :

- Qu'est-ce qu'elle a? Elle est toujours vivante au moins?

Lentement, doucement Antoinette sembla sentir son odeur. Une odeur qu'elle n'avait plus senti depuis un moment, elle sourit délicatement, les yeux fermés.

Ses cheveux s'étaient détachés, elle était par terre et IL était là. Juste là, près d'elle. Comment était-ce possible? Elle voulut pleurer de joie.

Elle serra fort ses yeux, se releva et elle le serra aussi fort qu'elle le pouvait. Elle se souvenait de tout ce temps avec lui avant qu'il ne parte, et qu'il ne l'a laisse... pourquoi? où? comment? Peu importait. Viktor était là, enfin.

Ses mains remontèrent jusqu'à ses cheveux, ils étaient doux comme elle les connaissaient. Elle enfouit sa tête contre son épaule et lui murmura:

- Comme tu m'as manqué....

Mais, sa carrure avait changée. Elle n'était plus aussi robuste qu'avant, son parfum n'était plus le même, elle ouvrit les yeux et desserra son étreinte lentement jusqu'à ce retrouver face contre face, le visage à quelques millimètres de celui qu'elle avait crue être Viktor.

Viktor n'avait pas de lunette, Viktor n'avait pas les cheveux noirs, Viktor n'était pas Keiitaro.